
Le Pléistocène est une époque qui s’étend de –2 millions d’années à -10000 ans environ.
Cette période est caractérisée par des épisodes climatiques froids, dits glaciaires, et des périodes de réchauffement, dites interglaciaires. En Amérique du nord (comme en Eurasie), les périodes glaciaires sont marquées par l’expansion d’une calotte de glace depuis le pôle nord, qui pouvait descendre sur une très grande partie de l’Europe et de l’Amérique. La dernière de ces périodes glaciaires s’est terminée il y a environ 10000 ans.
La poussée de cette calotte polaire conditionne au fil du temps la position latitudinale changeante de différents biomes : la toundra (caractérisée par un sol gelé en profondeur presque toute l’année, une végétation arbustive, des tourbières, tapis de mousses, de lichens et de plantes herbacées) ; la taïga (climat froid presque toute l’année mais relativement humide, forêts denses de conifères) ; la forêt claire boréale (climat semblable à la taïga mais plus froid, avec forêt claire de feuillus et patchs de conifères et de plaines à herbacées) ; et la steppe à mammouths (climat hivernal froid avec été chauds et secs, plaines herbacées marquées par les graminées) (Lecointre et al., 2009 : dossier 6.8 p. 444).
En dehors des aspects climatiques, la fin de ce dernier âge de glace a été marqué par un évènement d’extinction massive qui n’a quasiment touché que les mammifères, et de surcroît les gros mammifères, généralement de plus de 44 kg. S’il y a des variations locales, ces extinctions sont néanmoins constatées partout dans le monde : Eurasie, Australie, Amérique du sud… C’est en Afrique que le phénomène est le moins marqué. En revanche, l’une des régions où il est important mais aussi le mieux documenté est l’Amérique du nord. Ce sont ici plus d’une trentaine de genres de mammifères de grande taille qui ont disparus, dont les mammouths et les mastodontes, plusieurs espèces de chevaux, les tapirs et les camélidés ou encore les paresseux géants dont j’ai déjà parlé ici.
Plusieurs hypothèses viennent alimenter l’explication des causes de ce phénomène, au premier chef desquels le changement climatique et la surchasse. Il existe une littérature abondante discutant des preuves qui alimentent chacune de ces hypothèses, mais celles-ci sont bien souvent limitées par la disparité et la nature parcellaire des registres paléontologiques, archéologiques et paléoécologiques. La séquence des évènements, même dans la région la mieux documentée (l’Amérique du nord), reste incertaine.
Une publication récente commise dans nature communications par les chercheurs de l’Université McMaster au Canada, apporte un éclairage nouveau à l’aune des données paléogénétiques : Collapse of the mammoth-steppe in central Yukon as revealed by ancient environmental DNA (Murchie et al., 2021).

En Amérique du nord comme ailleurs dans le monde, les hypothèses concurrentes pour expliquer l’extinction de la mégafaune mammifère opposent l’origine climatique, qui est notoirement celle des précédentes extinctions du Pléistocène, et les facteurs propres à cette dernière glaciation, notamment la dispersion concomitante d’une nouvelle espèce prédatrice, à savoir Homo sapiens. Dans les deux cas néanmoins, il reste nécessaire de comprendre la séquences précise des évènements afin d’en évaluer correctement les causes. Dans le cas de la Béringie orientale (les régions non gelées du Yukon au Canada et de l’Alaska aux USA), certains scientifiques estiment que l’expansion de la végétation arbustive et des tourbières à la suite d’un climat plus humide à la fin du Pléistocène, a conduit à la disparition des grands herbivores tondeurs d’herbes, dont le mammouth, le cheval, et le bison, qui n’étaient pas adaptés à ce type de biome, comme les rappellent les auteurs de cet article. A contrario, d’autres estiment que c’est le retrait de cette mégafaune (que ce soit par pression climatique ou anthropique) qui, n’entretenant plus ce biome caractéristique de la steppe à mammouths, a conduit à la disparition des plaines herbacées dominées par les graminées, et à l’expansion de la forêt boréale clairsemée. En somme : est-ce la disparition du biome qui conduit à la disparition de ses habitants, ou la disparition des habitants qui conduit à la disparition du biome ?
Afin d’explorer cette problématique, les auteurs ont analysé 21 échantillons de sédiments préservés dans le permafrost de quatre sites dans le Yukon et datés de 30000 à 4000 ans avant le présent à la recherche de molécules d’ADN ancien préservées dans ces environnements. L’approche paléogénétique apporte certaines caractéristiques utiles, notamment la possibilité de détecter localement les organismes ayant fréquenté un environnement par le passé, même en l’absence de traces observables de ces organismes, comme des os de vertébrés ou les grains de pollens de la végétation. En effet, après la dégradation cellulaire, une partie non négligeable de cet ADN reste liée et relativement préservée aux grains minéraux constituant le sédiment, et peuvent ainsi perdurer et rester identifiables pendant des milliers d’années, d’autant plus en contexte permafrost (càd où le sol reste gelé toute l’année).
Un certain nombre d’animaux ont ainsi pu être détectés dans les échantillons analysés, notamment le bison (Bison priscus), le mammouth laineux (Mammuthus primigenus), le cheval (Equus sp.), et la perdrix blanche (Lagopus lagopus). Dans l’ensemble la diversité animale détectée indique un déclin graduel de la mégafaune à travers le temps, notablement des Eléphantidés qui est l’un des premiers groupes dont l’ADN décroît en abondance après -20000 ans jusqu’à leur disparition quasi-totale à la jonction Pléistocène-Holocène. A cette époque-là en revanche apparaissent de nouveaux taxons comme l’élan (Alces alces) et probablement le wapiti (Cervus sp.). Il est à noter que le cheval et le mammouth sont détectés (faiblement) jusqu’à -6000 ans, soit bien après leur dernière mention dans le registre paléontologique des mêmes localités.
Les taxons végétaux détectés reflètent quant à eux un tournant majeur entre -13500 et -10000 ans : les graminées comme les Poacées et les Cyperacées et d’autres herbacées à fleurs comme l’armoise (Artemisia), les lupins (Lupinus), les passe-pierres (Saxifraga), les pavots (Papaver) ou les renoncules (Ranunculus) étaient identifiés en abondance entre -30000 et -13500 ans ; mais après -13500, les plantes ligneuses comme le saule (Salix), le peuplier (Populus), le bouleau (Betula) et d’autres, sont de plus en plus communément détectées au côté des prêles (Equisetum), des fougères (Gymnocarpium) et des mousses (Sphagnum). La dominance des graminées et la rareté des plantes ligneuses entre -30000 et -13500 soutiennent donc l’existence d’un biome de type steppe à mammouths durant cette période.

Les auteurs tirent quatre enseignements principaux des spectres paléoécologiques détectés.
- Au travers des quatre sites étudiés se trouve une grande richesse taxonomique, de surcroît cohérente spatio-temporellement entre les différents sites, ce qui permet de dire que ces signaux dénotent très probablement des tendances paléoécologiques réelles au moins à l’échelle de la région du Klondike située dans le Yukon et où se répartissent les différents échantillons analysés.
- Le signal ADN de la mégafaune décroit graduellement après le dernier maximum glaciaire, à commencer par celui du mammouth laineux, suivi de celui du bison et du cheval.
- La dominance des graminées est concomitante de celle de la mégafaune herbivore. Plus tard, la transition vers une végétation ligneuse concorde également avec la disparition du signal de cette même faune. La mégafaune peut rester ponctuellement et faiblement détectée, mais est fonctionnellement éteinte dans la région.
- Cette faune reste présente à l’état cryptique durant une partie importante de l’Holocène, suggérant des zones refuges à de hautes latitudes en dépit de l’effondrement des populations à l’échelle continentale.
En dépit d’incertitudes concernant les mécanismes de préservation de l’ADN ancien dans le sol, et d’un recouvrement imparfait avec les données paléontologiques, les auteurs argumentent sur la cohérence des différents signaux. Ceux-ci ne concernent pas que la disparition quasi complète de la mégafaune herbivore au tournant de -13500 avec un changement marqué de végétation, mais aussi l’apparition d’une nouvelle faune tout à fait adaptée à cette nouvelle végétation : oiseaux, rongeurs et cervidés (qui sont des brouteurs ne dépendant pas des mêmes végétaux que les tondeurs), ainsi que des petits prédateurs comme les martes. De telles transitions animales sont documentées dans la savane africaine, où les populations de rongeurs par exemple, tendent à doubler, augmentant également les populations de prédateurs, dès lors que les grands herbivores se retirent.
Si les signaux de la mégafaune herbivore, surtout ceux du mammouth et du bison tendent à attester d’un déclin soudain et important après -20000 ans dans les échantillons étudiés, leur persistance faible mais tardive sur plusieurs sites et ce presque 7000 ans après leur dernière mention paléontologique dans la région, rend difficile la résolution de la séquence d’évènements causaux ayant conduit de la steppe à mammouth à la forêt boréale clairsemée. D’un côté, ces herbivores montrent un déclin certain en amont de la séquence temporelle, mais de l’autre, la végétation associée persiste sans équivoque jusqu’à une bascule relativement soudaine à -13500, voyant communément l’établissement d’une végétation arbustive et d’une faune associée. Il est à noter que le déclin du cheval apparait lui beaucoup plus progressif jusqu’à ce tournant, montrant que l’extinction de la mégafaune n’a certainement pas suivi le même schéma pour toutes les espèces.
Le rôle éventuel des populations humaines dont les traces de présence non ambiguës dans la région ne remontent pas avant -14000 ans demeurent complètement obscures, si toute fois il a bien existé. Une recherche spécifique de l’ADN humain (qui n’était pas recherché dans cette étude), pourrait permettre de déceler la présence de communautés humaines dans cette région, et son abondance relative.
L’approche permet néanmoins d’apporter des données supplémentaires non dépendantes de la conservation de tissus biologiques, dont l’échantillonnage témoigne ici d’une grande cohérence entre les différents signaux détectés. Mais ces signaux montrent à la fois des phénomènes graduels et de long terme, comme la disparition des chevaux (alors que celle des mammouths est beaucoup plus brutale), ou des bascules écologiques relativement soudaines, comme l’effondrement de la steppe à mammouths au profit de la forêt boréale ouverte certainement parsemée de refuges adaptés à la mégafaune fonctionnellement éteinte par ailleurs.
Nul doute que bien des surprises et des nuances attendent encore les chercheurs qui étudient ces processus, loin des explications simplistes et monocausales.
Références :
- Lecointre et al., 2009. Guide critique de l’évolution, Belin, Paris, 572 p.
- Murchie et al., 2021. Collapse of the mammoth-steppe in central Yukon as revealed by ancient environmental DNA. Nature communications. Doi : 10.1038/s41467-021-27439-6